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EXTRAIT DU ROMAN DE BRUT.

Ains l’eut bien souvent ramembré[1] ;
Et au roi de France a mandé
Que tout son raine a divisé
Et à ses deux filles donné :
La moitié à la primeraine,
Et l’autre après à la moyenne ;
Mais si sa fille lui plaisoit,
Il lui donroit, plus n’i prendroit.
Cil cuida qu’il l’eut demandée
Que pour cherté, lui fit vée ;
De tant l’a il plus désirée
Qu’à merveille lui ert louée[2] :
Au roi Léir de rechef mande
Que nul avoir ne lui demande,
Mais seul sa fille lui octroie
Cordeille, si lui envoie.
Et Léir la lui octroya ;
Outre la mer lui envoya
Sa fille et ses draps seulement,
Ni eut autre appareillement.
Puis fut dame de toute France
Et reine de grant puissance.

Ceux qui ses sorors eurent prises[3],
Qui les terres furent promises,
Ne volrent mie tant souffrir
À la terre prendre et saisir,
Que le sire s’en démit
Et il de gré leur guerpît[4].
Tant l’ont guerroyé et destroit
Qui son raine lui ont toloit[5]
Le roi de Cornuaille à force
Et Malgramis li roi d’Escoce
Tout leur a le sire laissé ;

  1. Mais s’en était bien souvenu.
  2. Il la désirait d’autant plus qu’on lui en faisait de merveilleux éloges.
  3. Sorors, sœurs.
  4. Ils ne voulurent attendre, pour prendre et saisir la terre, que le roi s’en démît et la leur cédât de gré.
  5. Toloit, enlevé, du latin tollere.