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EXTRAIT DU ROMAN DE BRUT.

A tant se tait, plus ne veut dire.
Le père fut de si grande ire ;
De maltalent devint tout pers[1],
La parole prit en travers ;
Ce cuida qu’elle l’eschernît[2],
Ou ne daignât, ou ne volsît[3],
Ou par vilté de lui laissât[4]
A reconnoitre qu’elle l’aimât
Si comme ses sœurs l’aimoient,
Qui de tel amour s’affichoient.
« En dépit, dit-il, eu m’as,
Qui ne voulus, ni ne daignas
Répondre comme tes sœurs :
À elles deux donnerai seigneurs
Et tout mon raine en mariage,
Et tout l’auront en héritage ;
Chacune en aura la moitié,
Et tu n’en auras plein pié,
Ni jà par moi n’auras signor.
Ni de toute ma terre un tor.
Je te chérissois et aimois
Plus que nul autre, si cuidois
Que tu plus des autres m’aimasses,
Et ce fût droit si tu daignasses[5],
Mais tu m’as rejailli affront
Que tu m’aimes moins que ne font :
Tant comme j’ai toi plus en cherté,
Tant m’eus-tu plus en vilté ;
Jamais n’auras joie du mien,
Ne ja ne m’i ert bel de ton bien[6].

La fille ne sut que répondre,
D’ire et de honte cuida fondre,

  1. De colère devint tout livide.
  2. S’imagina qu’elle le dédaignait.
  3. Volsit, voulait.
  4. Ou par mépris pour lui se refusait.
  5. Et ce serait juste que tu daignasses m’aimer.
  6. Je ne me soucierai plus de ton bien.