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LA FAMILLE.

Sur quoi Léir, croyant que Cordéille se moquait de lui, la maudit, la déshérita et décida qu’après sa mort les deux aînées se partageraient son royaume. Cependant, le roi de France Aganippus, ayant ouï nommer Cordéille comme une princesse fort belle et fort gente, la fit demander en mariage. Léir voulut le détourner de ce choix, mais, comme le Français insistait, il finit par lui envoyer sa fille sans autre dot que ses vêtements :

Outre la mer lui envoya
Sa fille et ses draps seulement,
Ni eut autre appareillement.

Tandis que Cordéille devenait ainsi dame de toute la France, les ducs de Cornouailles et d’Écosse, pressés d’hériter, s’emparèrent violemment des États de leur beau père, en s’engageant toutefois à héberger alternativement le vieux roi et à entretenir à leurs frais cinquante chevaliers qui formeraient sa suite. Ces conditions furent d’abord loyalement exécutées. Léir s’installa chez le duc d’Écosse qui le traita convenablement ; mais bientôt Gornorille, qui était fort avare, trouva trop coûteux l’entretien de ces cinquante chevaliers et remontra à son mari la nécessité de diminuer ce dangereux cortége :

Que sert cette assemblée d’hommes ?
En ma foi, sire, fous sommes
Que telles gens avons ci attrait.
Ne sait mon père ce qu’il fait :
Il est entré en folle route.
Jà est vieux homme et si radote.
Qui pourrait souffrir si grande presse ?
Il est faux et sa gent perverse.

Tant la dame admonesta son mari que le duc d’Écosse réduisit la suite du roi de cinquante à trente chevaliers. Irrité de cet affront, Léir se retira chez son autre gendre, le duc de Cornouailles. Mais Ragaü, moins généreuse encore que sa sœur, voulut restreindre l’escorte royale de