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LA FAMILLE.

De Jersey, où il était né, ce trouvère était allé à Paris où il s’était initié à toutes les délicatesses de cette belle langue d’Oil si grossièrement parlée par ses compatriotes, puis s’était fixé à Caen où il avait composé dans l’idiome national maints opuscules fort remarqués. Ce fut ce barde, désigné par une renommée précoce, que le duc de Normandie choisit pour mettre en rimes françaises les annales galloises, tout dernièrement traduites en latin par le chanoine de Monmouth. Wace, sachant lui-même le gallois, était parfaitement capable d’interpréter directement le texte primitif. Il entreprit donc résolument la tâche que lui commandait son seigneur et, en l’an 1155, à la grande satisfaction de Henri II, qui le fit chanoine de Bayeux, il termina cet immense poëme en quinze mille trois cents vers qui a pour titre le Roman de Brut. — La chronique bretonne, ainsi ressuscitée par le chantre normand, était sûre désormais de ne plus périr. Rajeunis par la jeune poésie française, tous ces vieux mythes, qu’avait si longtemps couverts la poudre des âges, allaient revivre pour toujours dans la mémoire des générations nouvelles. Comme autrefois les pêcheurs de l’Hellespont chantaient, sur la mesure marquée par le rhapsode, et la colère d’Achille et la mort de Patrocle et les adieux d’Hector à Andromaque, — de même les marins de Dieppe et du Havre allaient maintenant redire selon le rythme inventé par le trouvère, et les pérégrinations de Brutus, père des Bretons, et les exploits de Brennus, le conquérant de Rome, et les infortunes émouvantes du fondateur de Leicester :

Léir, en sa prospérité,
Fit en son nom une cité ;
Kaerléir a nom, sur Sore,
Leicestre s’appelle encore.
Léir tint l’honneur quitement
Soixante ans continuellement :