vous le déclarez, — si jamais dans ma vie vous avez fait cas de moi, — que cette chair serve à vous nourrir.
Les veines n’en sont pas taries ; — et elles contiennent de quoi vous soutenir. — Oh ! acceptez cette nourriture ; si elle peut vous faire du bien, — je sourirai de joie à vous voir sucer mon sang.
— Je ne suis pas un cannibale pour me plaire — à rassasier de chair humaine mes mâchoires affamées. — Je ne suis pas un démon ni dix fois pire qu’un démon — pour vouloir sucer le sang d’un si admirable ami. — Oh ! ne crois pas que j’estime ma vie — aussi chère que ta loyale affection. — Ah ! Bretagne, je ne te reverrai plus, — ingrate qui as banni ton roi ; — et pourtant ce n’est pas toi que j’accuse, — mais celles qui m’étaient bien plus proches que toi.
— Qu’entends-je ? cette voix lamentable, — il me semble déjà l’avoir ouïe souvent.
Ah ! Gonorill, si je t’ai donné la moitié de mon royaume, — était-ce une raison pour chercher à m’ôter la vie ? — Ah ! Ragane, tout ce que je t’ai donné — ne te suffisait-il pas, et te fallait-il mon sang ? — Ah ! pauvre Cordella, si je ne t’ai rien donné, — dois-je renoncer pour toujours à te rien donner ? — Oh ! puissé-je enseigner à tous les siècles à venir — comment on se fie à la flatterie en rejetant la vérité ! — N’importe !… filles ingrates, je vous pardonne à toutes deux, — mais je doute fort que les justes cieux fassent de même. — Et je ne demande pardon — qu’à la bonne Cordella, à toi, mon ami, — à Dieu, dont j’ai offensé la majesté — par mille transgressions, — à cette chère enfant que, sans motif, — j’ai déshéritée de tout, ne prenant conseil que de la flatterie ; — à toi, affectueux ami, qui, sans moi, je le sais, — ne serais jamais venu dans ce lieu de calamité.
— Hélas ! fallait-il que je vécusse pour voir — mon noble père dans cette misère !
— Doux amour, ne révèle pas qui tu es, — avant que nous sachions la cause de tout ce malheur.
— Oh ! mais vite des aliments ! des aliments ! ne voyez-vous pas — qu’ils sont près de mourir faute de nourriture ?