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CORIOLAN ET LE ROI LEAR.

(34) Les treize vers qui précèdent ont été ajoutés au texte primitif par l’édition de 1623.

(35) Pour mettre le lecteur à même de poursuivre le rapprochement si curieux entre l’œuvre de Shakespeare et l’œuvre de son devancier, je traduis les scènes du drame anonyme qui correspondent à celles que nous venons de voir :

Entrent Gonorill et Skalliger.
gonorill.

— Je te prie, Skalliger, dis-moi ce que tu penses. — Une femme de notre qualité peut-elle — endurer les avanies et les réprimandes péremptoires — que je reçois journellement d’un père radoteur ? — Ne suffit-il pas que je le maintienne d’aumônes, — lui qui n’est pas capable de se maintenir lui-même ? — Comme s’il était notre supérieur, il se met en tête — de nous contrarier et de nous brusquer à chaque mot. — Je ne puis me commander une nouvelle robe et y dépenser une somme un peu ronde, — que ce vieux radoteur, cet imbécile à cervelle desséchée, — ne me fasse d’absurdes reproches. — Je ne puis donner un banquet extraordinaire, — pour me faire honneur et répandre au loin ma renommée, — que ce vieux fou ne critique la chose aussitôt, — en déclarant que la dépense devrait suffire pour deux repas. — Dis-moi donc, je te prie, pour quelle raison — je dois supporter seule les frais de son vain entretien. — Pourquoi ma sœur Ragane en est-elle exemptée, — elle à qui il a donné autant qu’à moi ? — Je t’en prie, Skalliger, dis-moi si tu sais — quelque moyen de me débarrasser de cet ennui.

skalliger.

— Les nombreuses faveurs que vous m’accordez sans cesse, — m’obligent à indiquer en toute loyauté à Votre Grâce — comment vous pouvez au plus vite remédier à ce mal. — La large allocation qu’il a de vous — est ce qui le fait s’oublier ainsi. — Conséquemment, diminuez-la de moitié, et vous verrez — que, possédant moins, il sera plus reconnaissant. — En effet, l’abondance nous fait souvent oublier — la source d’où émanent les bienfaits.

gonorill.

— C’est bien, Skalliger. Pour cet excellent conseil — je ne serai pas ingrate, si je vis. — J’ai déjà restreint sa pension de moitié, — et je vais sur-le-champ réduire l’autre moitié, — afin que, n’ayant plus de moyens de subsistance, — il aille chercher ailleurs un meilleur asile.

Elle sort.