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CORIOLAN ET LE ROI LEAR.

tre tes mains. Par quoi, si tu as du cœur de te ressentir jamais des dommages que t’ont faits tes ennemis, sers-toi maintenant, je te prie, de mes calamités et fais en sorte que mon adversité soit la commune prospérité de tous les Volsques, en t’assurant que je ferai la guerre encore mieux pour vous que je ne l’ai jusqu’ici faite contre vous, d’autant que mieux la peuvent faire ceux qui connaissent les affaires des ennemis que ceux qui n’y connaissent rien. Mais si d’aventure tu te rends et es las de plus tenter la fortune, aussi suis-je, quant à moi, las de plus vivre : et ne serait point sagement fait à toi de sauver la vie à un qui t’était mortel ennemi et qui maintenant ne te saurait plus de rien profiter ni servir. »

Tullus ayant ouï ces propos en fut merveilleusement aise et, lui touchant en la main, lui dit : « Lève-toi, Martius, et aie bon courage, car tu nous apportes un grand bien en te donnant à nous : au moyen de quoi tu dois espérer de plus grandes choses de la communauté des Volsques. » Il le festoya pour lors et lui fît bonne chère, sans autrement parler d’affaires : mais aux jours ensuivants puis après ils commencèrent à consulter entre eux des moyens de faire la guerre. »

(14) « Aussi les Romains furent-ils tous unanimement d’avis qu’on envoyât ambassadeurs devers Martius pour lui faire entendre comme ses citoyens le rappelaient et le restituaient en ses biens et le suppliaient de les délivrer de cette guerre. Ceux qui y furent envoyés de la part du sénat étaient familiers amis de Martius, lesquels s’attendaient bien d’avoir pour le moins à leur arrivée un doux et gracieux recueil de lui comme de leur parent et familier ami : mais ils ne trouvèrent rien de semblable, ains furent menés à travers le camp jusques au lieu où il était assis dedans la chaire avec une grandeur et une gravité insupportable, ayant les principaux hommes des Volsques autour de soi : si leur commanda de dire tout haut la cause de leur venue. Ce qu’ils firent ès plus honnêtes et gracieuses paroles qu’il leur fut possible, avec