Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 9.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
402
CORIOLAN ET LE ROI LEAR.

point sévère ni cruel, mais plutôt doux et humain, et que ce n’était point pour ce qu’il méprisât les nobles ni le sénat, mais pour ce qu’il pensait être lui-même méprisé, qu’il voulait avoir, comme par un reconfort et une prérogative d’honneur, cette puissance de juger ; de manière qu’au même instant qu’on leur céderait l’autorité de juger par leurs voix, ils poseraient toute ire et toute envie de condamner.

« Voyant donc Martius le Sénat en peine de se résoudre d’un côté pour la bonne affection que les nobles lui portaient, et de l’autre côté par la crainte qu’ils avaient du peuple, il demanda tout haut aux tribuns de quoi ils entendaient le charger et accuser. Les tribuns lui répondirent qu’ils voulaient montrer comme il aspirait à la tyrannie, et qu’ils prouveraient comme ses actions tendaient à usurper domination tyrannique à Rome. Martius adonc se levant en pieds dit qu’il s’en allait tout de ce pas présenter volontairement au peuple pour se justifier de cette imputation, et, s’il était trouvé qu’il y eût seulement pensé, qu’il ne refusait aucune sorte de punition : « moyennant, dit-il, que vous ne me chargiez que de cela et que vous ne décevrez point le sénat. » Ils promirent qu’aussi ne feraient-ils, et sous ces conditions fut le jugement accordé, et le peuple assemblé : là où premièrement les Tribuns voulurent à toute force, comment qu’il en fût, que le peuple procédât à donner ses voix par les liguées et non pas par les centaines, pour ce qu’en cette manière la multitude des pauvres disetteux, et toute telle canaille, qui n’a que perdre et qui n’a regard quelconque de l’honnêteté devant les yeux, venaient à avoir plus de force (à cause que les voix se comptaient par têtes) que n’avaient les gens de bien et d’honneur qui allaient à la guerre, et qui de leurs biens soutenaient les charges de la chose publique : et puis laissant le crime de la tyrannie affectée qu’ils n’eussent su prouver, ils commencèrent de rechef à mettre sus les propos que Martius avait tenus au sénat, empêchant qu’on ne distribuât du blé à vil prix au menu peuple, et suadant au contraire de leur ôter le tribunat : et pour le tiers le chargèrent encore d’un nouveau crime, c’est qu’il n’avait pas rapporté en commun le butin