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CORIOLAN ET LE ROI LEAR.

paroles humbles et suppliantes, il commença non-seulement à user d’une franchise de parler qui de soi-même est odieuse, et qui sentait plus son accusation que sa libre défense, mais avec un ton de voix forte et un visage rébarbatif montra une assurance approchant de mépris et de contemnement : dont le peuple s’aigrit et irrita fort âprement contre lui, montrant bien qu’il avait grand dépit de l’ouïr ainsi bravement parler, et qu’il ne le pouvait plus souffrir. Et lors Sicinius, le plus violent et le plus audacieux des tribuns du peuple, après avoir un peu conféré tout bas avec ses autres compagnons, prononça tout haut en public que Martius était condamné par les tribuns à mourir, et à l’instant même commanda aux édiles qu’ils le saisissent au corps et le menassent tout promptement au château, sur la roche Tarpéienne, pour de là le précipiter du haut en bas. Quand les édiles vinrent à mettre les mains sur Martius pour exécuter le commandement qui leur était fait, il y eut plusieurs du peuple même à qui le fait sembla trop violent et cruel ; mais les nobles, ne se pouvant plus contenir, et étant par colère transportés hors d’eux-mêmes, accoururent celle part avec grands cris pour le secourir, et repoussant ceux qui le voulaient saisir au corps, l’enfermèrent au milieu d’eux, et y en eut quelques-uns d’entre eux qui tendirent les mains jointes à la multitude du peuple, en les suppliant de ne vouloir pas procéder si rigoureusement : mais les paroles ni les cris ne servaient de rien, tant le tumulte et désordre était grand, jusqu’à ce que les parents et amis des tribuns ayant avisé entre eux qu’il serait impossible d’emmener Martius pour le punir, comme il avait été condamné, sans grand meurtre et occision des nobles, leur remontrèrent et persuadèrent qu’ils ne procédassent point à cette exécution ainsi extraordinairement et violemment en faisant mourir un tel personnage, sans lui faire préalablement son procès et y garder forme de justice, et qu’ils en remissent le jugement aux voix et suffrages du peuple.

Adonc Sicinius, s’arrêtant un peu sur soi, demanda aux patriciens pour quelle raison ils étaient Martius d’entre les mains du peuple qui en voulait faire la punition ; et au con-