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CORIOLAN ET LE ROI LEAR.

jeunes hommes et presque tous les riches, de manière qu’ils criaient qu’il était seul en toute la ville qui ne fléchissait ni ne flattait point le menu populaire. Seulement y en avait-il quelques-uns des vieux qui lui contredisaient, se doutant bien qu’il en pourrait advenir quelque inconvénient, comme il n’en advint aussi rien de bon : pour ce que les tribuns du peuple, qui étaient présents à cette consultation du sénat, quand ils virent que l’opinion de Martius à la pluralité des voix l’emportait, se jetèrent hors du sénat emmi la tourbe de la commune, criant au peuple à l’aide, et qu’on s’assemblât pour les secourir.

Si se fit incontinent une tumultueuse assemblée du peuple en laquelle publiquement furent récités les propos que Martius avait tenus au sénat : dont la commune se mutina si fort qu’il s’en fallut bien peu que sur l’heure même elle n’allât en fureur courir sus à tout le sénat ; mais les tribuns jetèrent toute la charge sur Martius seulement, et quand et quand l’envoyèrent sommer par leurs sergents, qu’il eût à comparoir tout promptement en personne devant le peuple pour y répondre des paroles qu’il avait dites au sénat. Martius rechassa fièrement les officiers qui lui firent cette sommation : et adonc eux-mêmes y allèrent en personne, accompagnés des édiles pour l’amener par force et de fait vinrent sur lui. Mais les nobles patriciens, se bandant à l’entour de lui, repoussèrent les tribuns arrière et battirent à bon escient les édiles ; et pour lors la nuit, qui survint là-dessus, apaisa le tumulte. Mais le lendemain au matin les consuls, voyant le peuple mutiné accourir de toutes parts en la place, eurent peur que toute la ville n’en tombât en combustion, et, assemblant le sénat à grande hâte, remontrèrent qu’il fallait aviser d’apaiser le peuple par douces paroles et l’adoucir par quelques gracieux décrets en sa faveur : et que s’ils étaient sages, ils devaient penser qu’il n’était pas lors raison de l’opiniâtrer, ni de contester et combattre pour l’honneur à l’encontre d’une commune, pour ce qu’ils étaient tombés en un point de temps fort dangereux, et où ils avaient besoin de se gouverner discrètement, en y donnant quelque provision amiable, et promp-