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LE ROI LEAR.

cordélia.

Oh ! regardez-moi, sire, — et étendez vos mains sur moi pour me bénir…

Lear veut se mettre à genoux devant elle. Elle le retient.

— Non, sire, ce n’est pas à vous de vous agenouiller.

lear.

De grâce ! ne vous moquez pas de moi ! — Je suis un pauvre vieux radoteur — de quatre-vingt ans et au-delà… pas une heure de plus ni de moins. — Et, à parler franchement, — je crains de n’être pas dans ma parfaite raison… — Il me semble que je dois vous connaître, et connaître cet homme. — Pourtant, je suis dans le doute ; car j’ignore absolument — quel est ce lieu ; et tous mes efforts de mémoire — ne peuvent me rappeler ce costume ; je ne sais même pas — où j’ai logé la nuit dernière… Ne riez pas de moi ; — car, aussi vrai que je suis homme, je crois que cette dame — est mon enfant Cordélia.

cordélia.

Oui, je la suis, je la suis.

lear.

— Vos larmes mouillent-elles ? Oui, ma foi. Je vous en prie, ne pleurez pas. — Si vous avez du poison pour moi, je le boirai. — Je sais que vous ne m’aimez pas ; car vos sœurs, — autant que je me rappelle, m’ont fait bien du mal. — Vous, vous avez quelque motif ; elles, n’en avaient pas.

cordélia.

Nul motif ! nul motif !

lear.

— Est-ce que je suis en France ?

kent.

Dans votre propre royaume, sire.

lear.

— Ne m’abusez pas.