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SCÈNE XXII.

lear.

Et la pauvre créature se sauver du limier ? Eh bien ! tu as vu là la grande image de l’autorité : un chien au pouvoir qui se fait obéir ! — Toi, misérable sergent, retiens ton bras sanglant : — pourquoi fouettes-tu cette putain ? Flagelle donc tes propres épaules : — tu désires ardemment commettre avec elle l’acte — pour lequel tu la fouettes. L’usurier fait pendre l’escroc. — Les moindres vices se voient à travers les haillons ; — les manteaux et les simarres fourrées les cachent tous. Cuirasse d’or le péché, — et la forte lance de la justice s’y brise impuissante : — harnache-le de guenilles, le fétu d’un pygmée le transperce. — Il n’est pas un coupable, pas un, te dis-je, pas un ! Je les absous tous. — Accepte ceci de moi, mon ami ; j’ai les moyens de sceller — les lèvres de l’accusateur. Procure-toi des besicles — et, en homme d’État taré, affecte — de voir les choses que tu ne vois pas… Allons, allons, allons, allons, — ôtez-moi mes bottes ; ferme, ferme ! c’est ça.

edgar.

— Oh ! mélange de bon sens et d’extravagance ! — La raison dans la folie !

lear.

— Si tu veux pleurer sur mon sort, prends mes yeux. — Je te connais fort bien : ton nom est Glocester. — Il te faut prendre patience ; nous sommes venus ici-bas en pleurant. — Tu le sais, la première fois que nous humons l’air, — nous vagissons et nous crions… Je vais prêcher pour toi ; attention.

glocester.

Hélas ! Hélas !

lear.

— Dès que nous naissons, nous pleurons d’être venus — sur ce grand théâtre de fous… Le bon couvre-chef ! — Ce serait un délicat stratagème que de ferrer — avec