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SCÈNE XXII.

edgar.

— De l’effrayant sommet de cette falaise crayeuse. — Regarde là-haut : de cette distance l’alouette stridente — ne pourrait être vue ni entendue : regarde.

glocester.

Hélas ! je n’ai plus d’yeux. — La misère n’a donc pas la ressource — de se détruire par la mort ? C’est pourtant une consolation — pour le malheur de pouvoir tromper la rage du tyran — et frustrer son orgueilleux arrêt.

edgar, l’aidant à se relever.

Donnez-moi votre bras. — Debout !… c’est cela ! Comment êtes-vous ? Sentez-vous vos jambes ?… Vous vous soutenez !

glocester.

— Trop bien, trop bien.

edgar.

Ceci dépasse toute étrangeté. — Quel était cet être qui, sur la crête de la montagne, — s’est éloigné de vous ?

glocester.

Un pauvre infortuné mendiant.

edgar.

— D’ici-bas il m’a semblé que ses yeux — étaient deux pleines lunes ; il avait mille nez, — des cornes hérissées et ondulant comme la mer houleuse. — C’était quelque démon. Ainsi, mon heureux père, — sois persuadé que les dieux tutélaires, qui tirent leur gloire — des impossibilités humaines, ont préservé tes jours.

glocester.

— Je me rappelle à présent ! À l’avenir je supporterai — la douleur, jusqu’à ce que d’elle-même elle me crie : — Assez ! assez ! meurs ! L’être dont vous parlez, — je l’ai pris pour un homme ; il répétait souvent : — Démon ! démon ! C’est lui qui m’a conduit là.