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LA FAMILLE.

ment toute une cité, toute une société, toute une patrie. Et quelle cité ! la cité par excellence ! la capitale promise à l’univers ! le chef-lieu espéré de la civilisation ! Ce qu’il faut à cette colère immense, c’est l’embrasement de la ville éternelle !

Plus d’obstacles. Le voilà sous les murs de Rome. Demain il franchira ces murs, et, foi de Marcius, Rome ne sera plus demain qu’un monceau de cendres. Il a repoussé toutes les intercessions, toutes les prières. En vain le vénérable Cominius s’est traîné à ses genoux : il l’a congédié d’un geste. Inflexible, il a laissé chasser par les sentinelles Ménénius, son ancien, son meilleur ami. Tout est donc désespéré. Rome est perdue. — Cette ville superbe, qui déjà fait l’étonnement et l’envie des peuples, est sur le point de subir le sort de Troie son aïeule. Demain toutes les matrones romaines se tordront les bras comme des Hécubes. Semblable à l’homme qui enlève dans le creux de sa main la source du plus grand fleuve, Marcius va d’un geste détourner le cours de l’histoire. La voyez-vous qui disparaît dans ce chaos précoce, cette métropole adolescente des nations, la rivale imminente de Carthage, le berceau des Gracques et des Scipions, l’aire où déjà l’avenir couve les aiglons de César ? Marcius va jeter dans la fournaise les germes des événements. Entendez-vous les cris du peuple-roi à l’agonie ? Dans un moment, l’incendie niveleur aura atteint le sanctuaire même du triomphe, l’acropole sublime où s’était réfugiée la Victoire. Dans un moment, le Capitole va s’écrouler.

Mais non, craintes chimériques ! alarmes imaginaires ! Ce spectacle de Rome embrasée n’est que la vision folle d’un orgueilleux délire. L’arrogance d’une créature ne saurait prévaloir contre la marche providentielle des choses. La destinée a fait son plan, et il ne dépend pas d’une volonté de la déranger. Une moralité toute-puis-