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INTRODUCTION.

parle. Quel est ton nom ? » À cette seconde sommation, l’inconnu relève le capuchon qui lui couvre le visage et se nomme : « Je suis Caïus Marcius ! » Les deux rivaux sont face à face, le Volsque et le Romain. À quel étrange duel allons-nous assister ? Coriolan vient-il défier Aufidius, l’outrager, le braver jusque chez lui ? Non. Ce n’est pas un combat que Marcius vient offrir à Tullus, c’est une ligue. Ce n’est pas un duel, c’est une coalition. À la rancune du Volsque contre Rome, le Romain offre l’alliance de sa trahison : « Ô Tullus, si tu veux réparer les dommages qui t’ont été faits, n’hésite pas à te servir de mes calamités et fais en sorte que mon zèle vengeur aide à ta prospérité, car je veux faire la guerre à ma patrie avec l’acharnement de tous les démons de l’enfer. »

C’en est fait : le pacte infernal est conclu. Tullus a pressé la main que lui tendait Marcius. Les ennemis se sont réconciliés dans la communauté de la haine. Le Romain a pris le commandement des troupes volsques. Il s’avance à leur tête avec l’impassibilité farouche d’un être « créé par quelque autre divinité que la nature. » L’humanité a cessé de battre sous sa cuirasse : « son injure est désormais la geôlière de sa pitié ; »

His injury
The gaoler to his pity.

Quand on l’appelle Coriolan, il refuse de répondre : « Il n’est plus qu’une espèce de néant, et il veut rester sans nom jusqu’à ce qu’il s’en soit forgé un dans l’incendie de Rome. » Cet homme a voué son pays à l’extermination : toutes les générations, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, doivent disparaître dans sa vengeance. Il a rompu tous les liens qui l’attachaient au monde : il ne connaît plus ni concitoyens ni amis. Jamais fierté terrestre n’exigea pareil holocauste. Il va sacrifier à son ressenti-