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LE ROI LEAR.

edgar.

Pillicock était assis sur le mont Pillicock… Halloo, halloo, loo, loo !

le fou.

Cette froide nuit nous rendra tous fous et frénétiques.

edgar.

Prends garde au noir démon, obéis à tes parents, tiens scrupuleusement ta parole, ne jure pas, ne te commets pas avec la compagne jurée du prochain, ne pare pas ta bien-aimée d’éclatants atours. Tom a froid.

lear.

Qu’étais-tu jadis ?

edgar.

Un cavalier servant, fier de cœur et d’esprit ! Je frisais mes cheveux, portais des gants à mon chapeau, servais l’ardente convoitise de ma maîtresse, et commettais l’acte de ténèbres avec elle ; je proférais autant de serments que je disais de paroles, et les brisais à la face auguste du ciel ; je m’endormais sur des projets de luxure et m’éveillais pour les accomplir. J’aimais le vin profondément, les dés chèrement, et pour la passion des femmes je dépassais le Turc. Cœur perfide, oreille avide, main sanglante ; pourceau pour la paresse, renard pour le larcin, loup pour la voracité, chien pour la rage, lion pour ma proie !… Que le craquement d’un soulier, le bruissement de la soie ne livrent pas à la femme ton pauvre cœur. Garde ton pied des bordels, ta main des gorgerettes, ta plume de l’usurier, et défie ensuite le noir démon… Toujours à travers l’aubépine souffle le vent glacial ; il mugit suum, mun ! hey ! nonnony ! Dauphin, mon gars, mon gars, arrête ! Laissez-le filer.

La tempête continue.
lear.

Eh ! mieux vaudrait pour toi être dans ta tombe qu’essuyer sur ton corps découvert les rigueurs de ce ciel…