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SCÈNE XIII.

kent.

— Mon bon seigneur, entrez ici.

lear.

Veux-tu me rompre le cœur ?

kent.

— Je me romprais plutôt le mien… Mon bon seigneur, entrez.

lear.

— Tu trouves bien pénible que ce furieux orage — nous pénètre jusqu’aux os ; c’est pénible pour toi ; — mais là où s’est fixée la plus grande douleur, — la moindre est à peine sentie. Tu fuirais un ours, — mais, si ta fuite t’entraînait vers la mer rugissante, — tu te retournerais sur la gueule de l’ours. Quand l’âme est sereine, — le corps est délicat. La tempête qui est dans mon âme — m’empêche de sentir toute autre émotion — que celle qui retentit là… L’ingratitude filiale ! — N’est-ce pas comme si la bouche déchirait la main — qui lui apporte les aliments ?… Mais je veux une punition exemplaire… — Non, je ne veux plus pleurer… Par une nuit pareille — me retenir dehors !

Les yeux au ciel.

Tombe à verse, j’endurerai tout… — Par une nuit pareille !… Ô Régane ! Goneril !… — Votre bon vieux père dont le généreux cœur vous a tout donné !… — Oh ! la folie est sur cette pente ; évitons-la… — Assez.

kent, montrant la hutte.

Mon bon seigneur, entrez ici.

lear.

— Je t’en prie, entre toi-même ; cherche tes propres aises. — Cette tempête me permet de ne pas m’appesantir — sur des choses qui me feraient plus de mal… Mais soit ! entrons.

Au fou.

— Va, enfant, entre le premier… Ô détresse sans asile !…