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LE ROI LEAR.

le chevalier.

— Un homme dont l’âme est aussi tourmentée que le temps.

kent.

— Je vous reconnais. Où est le roi ?

le chevalier.

— En lutte avec les éléments courroucés ; — il somme le vent de lancer la terre dans l’Océan, — ou d’élever au-dessus du continent les vagues dentelées, — en sorte que tout change ou périsse (48). Il arrache ses cheveux blancs, — que les impétueuses rafales, avec une aveugle rage, — emportent dans leur furie et mettent à néant. — Dans son petit monde humain, il cherche à dépasser en violence — le vent et la pluie entrechoqués. — Dans cette nuit où l’ourse aux mamelles taries reste dans son antre, — où le lion et le loup, mordus par la faim, — tiennent leur fourrure à l’abri, il court la tête nue — et invoque la destruction.

kent.

Mais qui est avec lui ?

le chevalier.

— Nul autre que le fou qui s’évertue à couvrir de railleries — les injures dont souffre son cœur.

kent.

Je vous connais, monsieur, — et j’ose, sur la foi de mon diagnostic, — vous confier une chose grave. La division existe, — bien que cachée encore sous le masque — d’une double dissimulation, entre Albany et Cornouailles (49). — Ils ont (comme tous ceux que leur haute étoile — a exaltés sur un trône) des serviteurs non moins dissimulés qu’eux-mêmes. — Parmi ces gens-là, le roi de France a des espions qui, observateurs — intelligents de notre situation, lui ont révélé ce qu’ils ont vu,