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LE ROI LEAR.

cordélia, à part.

— Que pourra faire Cordélia ? Aimer, et se taire.

lear, le doigt sur la carte.

— Tu vois, de cette ligne à celle-ci, tout ce domaine, — couvert de forêts ombreuses et de riches campagnes, — (20) de rivières plantureuses et de vastes prairies : — nous t’en faisons la dame. Que tes enfants et les enfants d’Albany — le possèdent à perpétuité… Que dit notre seconde fille, — notre chère Régane, la femme de Cornouailles ?… Parle.

régane.

— Je suis faite du même métal que ma sœur, — et je m’estime à sa valeur. En toute sincérité — je reconnais qu’elle exprime les sentiments mêmes de mon amour ; — seulement, elle ne va pas assez loin : car je me déclare — l’ennemie de toutes les joies — contenues dans la sphère la plus exquise de la sensation, — et je ne trouve de félicité — que dans l’amour de Votre Chère Altesse.

cordélia, à part.

C’est le cas de dire : Pauvre Cordélia ! — Et pourtant non, car, j’en suis bien sûre, je suis plus riche — d’amour que de paroles !

lear, à Régane.

— À toi et aux tiens, en apanage héréditaire, — revient cet ample tiers de notre beau royaume, — égal en étendue, en valeur et en agrément — à la portion de Goneril.

À Cordélia.

À votre tour, ô notre joie, — la dernière, mais non la moindre ! Vous — dont le vin de France et le lait de Bourgogne — se disputent la jeune prédilection (21), parlez : que pouvez-vous dire pour obtenir — une part plus opulente que celle de vos sœurs ?

cordélia.

Rien, monseigneur.