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LA FAMILLE.

Aussi avec quelle ardeur et quelle vaillance il se met en campagne ! Il faut être témoin de ces exploits pour y croire. Il faut assister à ces prodiges pour les trouver possibles. Shakespeare nous montre en de dramatiques tableaux ces prouesses inouïes. Non content du procédé de la tragédie classique qui les eût résumés dans un récit fastidieux, le poëte anglais développe sur le théâtre les hauts faits de Marcius. Dans une série de scènes émouvantes, nous voyons Caïus rallier devant Corioles les centuries, d’abord repoussées, ensuite s’élancer seul dans la cité ennemie et s’en emparer, puis, laissant aux soudards la facile besogne de ramasser le butin, courir dans la plaine au secours du consul Cominius et mettre en fuite de sa main le général ennemi Tullus Aufidius. — Shakespeare a compris qu’une grandeur démesurée pouvait seule étayer la hauteur démesurée de Marcius. Aussi, dans cette lutte épique, a-t-il donné à son personnage la taille gigantesque des héros fabuleux. Entre Caïus et ses compagnons d’armes, toute proportion a disparu. Marcius devant Corioles, ce n’est plus un général romain à la tête de ses légions, c’est Antée traînant après lui son armée de pygmées, c’est Achille jetant à l’assaut de Troie ses bandes de Myrmidons.

Marcius a reçu par acclamation le surnom de Coriolan ; il entre triomphalement dans Rome : — « Entendez-vous ces trompettes ? s’écrie Ménénius qui reconnaît la fanfare du victorieux. — Oui, réplique Volumnie, ce sont les émissaires de Marcius ; devant lui il porte le fracas, et derrière lui il laisse les larmes. La mort, ce sombre esprit, réside dans son bras nerveux : il s’élève, retombe, et alors des hommes meurent. » Dès que Coriolan paraît, il fléchit le genou devant sa mère, comme pour lui faire hommage de sa victoire. « Relève-toi, dit Volumnie, relève-toi, mon brave soldat, relève-toi, Marcius, relève-toi, Coriolan !… J’ai assez vécu pour voir mettre le comble à mes vœux et