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CORIOLAN.

nous voulons — ne rien écouter de Rome en secret… Votre requête ?

Il s’assoit.
volumnie.

— Quand nous resterions silencieuses et sans dire un mot, notre accoutrement — et l’état de nos pauvres corps te feraient assez connaître quelle vie — nous avons menée depuis ton bannissement. Considère — combien plus infortunées que toutes les femmes du monde — nous sommes venues ici : puisque ta vue, qui devrait — faire ruisseler de joie nos yeux et bondir d’aise nos cœurs, — nous contraint à pleurer et à frissonner d’effroi et de douleur, — en montrant à une mère, à une femme, à un enfant, — un fils, un mari, un père déchirant — les entrailles de sa patrie ! Et c’est à nous, pauvres créatures, — que ton inimitié est le plus fatale : tu nous empêches — de prier les dieux, ce qui est un souverain réconfort — à tous, hormis à nous. Car, comment pouvons-nous, — hélas ! comment pouvons-nous prier et pour notre pays, — comme c’est notre devoir, et pour ta victoire, — comme c’est notre devoir ? Hélas ! il nous faut sacrifier — ou la patrie, notre nourrice chérie, ou ta personne, — notre joie dans la patrie. Nous devons subir — une évidente calamité, quel que soit celui de nos vœux — qui s’accomplisse, de quelque côté que soit le triomphe : car il nous faudra te voir, — comme un renégat étranger, traîné, — les menottes aux mains, à travers nos rues, ou — foulant d’un pas triomphal les ruines de ta patrie, — et remportant la palme pour avoir vaillamment versé — le sang de ta femme et de tes enfants. Quant à moi, mon fils, — je suis résolue à ne pas attendre que la fortune — décide l’issue de cette guerre. Car, si je ne puis te déterminer — à témoigner une noble bienveillance aux deux parties, — plutôt que de ruiner l’une d’elles, sache que — tu ne marcheras pas à l’assaut de ton pays sans