Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 9.djvu/205

Cette page a été validée par deux contributeurs.
203
SCÈNE XXIV.

fera de Rome — ce que l’orfraie fait du poisson : il s’en emparera — par l’ascendant de sa nature. Il a commencé — par servir noblement son pays ; mais il n’a pu — porter ses honneurs avec modération, soit par cet excès d’orgueil — dont le succès de chaque jour entache — l’homme heureux, soit par un manque de jugement — qui l’empêche de tirer parti des chances — dont il est maître ; soit à cause de son caractère, — tout d’une pièce, immuable — sous le casque et sur le coussin, aussi altier, — aussi rigidement hautain dans la paix — qu’impérieux dans la guerre. Un seul de ces défauts — (car, s’il les a tous, ce n’est qu’en germe, — je lui rends cette justice,) a suffi pour le faire redouter, — haïr et bannir. Il a du mérite, mais il l’étouffe par la jactance. Nos talents ne relèvent — que des commentaires du temps ; — et le génie, le plus enthousiaste de lui-même, — n’a pas de tombe plus éclatante que la chaire — d’où sont prônés ses actes… — La flamme chasse la flamme ; un clou chasse l’autre ; — les titres s’abîment sous les titres, la force succombe sous la force… — Allons, éloignons-nous… Dès que Rome t’appartient, Caïus, — tu es perdu, car aussitôt tu m’appartiens.

Ils sortent.

SCÈNE XXIV.
[La maison de Ménénius.]
Entrent Ménénius, Cominius, Sicinius, Brutus et d’autres.
ménénius.

— Non, je n’irai pas. Vous avez entendu ce qu’il a dit — à son ancien général qui l’aimait — de la plus tendre prédilection. Moi-même, il m’appelait son père : — mais qu’importe ! Allez, vous qui l’avez banni, — prosternez-vous à un mille de sa tente, et frayez-vous à genoux —