Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 9.djvu/189

Cette page a été validée par deux contributeurs.
187
SCÈNE XXI.

de travaux endurés, — de tant de dangers courus, de tant de sang — versé pour mon ingrate patrie, je n’ai recueilli d’autre récompense — que ce surnom, éclatant souvenir — qui témoigne la malveillance et la haine — que tu dois avoir contre moi. Il ne m’est demeuré que ce nom : — l’envie et l’outrage du peuple romain, — autorisés par la lâcheté de notre noblesse qui — m’a tout entière abandonné, ont dévoré le reste : — oui, nos nobles ont souffert que je fusse chassé — de Rome par les huées des manants. C’est cette extrémité — qui m’a amené à ton foyer, non dans l’espoir — (ne va pas t’y méprendre) de sauver ma vie ; car, si — j’eusse eu peur de mourir, tu es de tous les hommes — celui que j’aurais le plus évité ; mais c’est par pure animosité, — pour le désir que j’ai de me venger de mes prescripteurs, — que je viens à toi. Par quoi, si tu as — le ressentiment au cœur, si tu veux une réparation — pour les dommages qui t’ont été faits, si tu veux mettre un terme au démembrement honteux de ta patrie, n’hésite pas — à te servir de mes calamités, et fais en sorte — que mes services vengeurs aident — à ta prospérité ; car je veux faire la guerre — à ma patrie gangrenée avec l’acharnement — de tous les démons de l’enfer. Mais, si d’aventure — tu te rends, si tu es las — de tenter la fortune, aussi suis-je, quant à moi, — tout à fait las de vivre ; j’offre — ma gorge à ton épée et à ta vieille rancune. — Frappe ! m’épargner serait folie, — moi qui t’ai toujours poursuivi de ma haine, — qui ai tiré des tonnes de sang du sein de ton pays, — et qui ne puis vivre que pour ta honte, si je ne puis — vivre pour te servir !

aufidius.

Ô Marcius, Marcius, — chaque mot que tu as dit a arraché de mon cœur — une racine de ma vieille inimitié. Si Jupiter — du haut de la nue me disait des choses divines — en ajoutant : c’est vrai, je ne le croirais pas plus fermement — que toi, auguste Marcius… Oh ! laisse-moi enlacer