Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 9.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
LA FAMILLE.

que magnanime. « Il ne flatterait pas Neptune sous la menace du trident, ni Jupiter sous le coup de la foudre. Sa bouche, c’est son cœur. » Il n’a pas plus d’ambition que de cupidité : « Il convoite moins que l’avarice ne donnerait, et trouve la récompense de ses actes dans leur accomplissement. » — Cet homme, indomptable sous l’armure, est doux comme un enfant dans la vie privée. En dépit des assertions de Plutarque qui représente Marcius comme mal accointable et malpropre pour vivre et converser entre les hommes, et qui déclare expressément qu’on ne pouvait le fréquenter, tant ses façons de faire étaient odieuses, Shakespeare a voulu que son héros eût toutes les qualités mondaines et sociables. Marcius est aussi affable pour ses familiers que respectueux envers les femmes et déférent envers les vieillards. Voyez avec quel empressement il cède le pas au vénérable dictateur Titus Lartius ! Avec quelle courtoisie charmante il salue Valérie, la noble sœur de Publicola, la Diane de Rome ! Quelle cordiale poignée de main il offre à son cher Ménénius, ce joyeux compagnon, ce patricien de belle humeur, si connu dans les ruelles pour apprécier « le vin capiteux que n’a pas refroidi une goutte du Tibre ! » Avec quelle conjugale tendresse il étreint sa femme Virgilie, « cette grâce silencieuse ! » Avec quelle effusion paternelle il embrasse son enfant, ce garnement de Marcius ! Mais remarquez surtout avec quelle filiale dévotion il s’agenouille devant sa mère. Comme ami, comme époux, comme père, comme fils, Marcius est le modèle des hommes. A-t-il donc atteint la perfection ? Non, vous le savez, Shakespeare n’accorde la perfection à personne : il y a une tache à ce beau caractère, il y a un trait fatal à cette grandiose figure.

Marcius est miné intérieurement par cette infirmité originelle qui fit la chute du premier homme : il est orgueilleux !