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ROSALINDE.

cependant parvint à dissimuler son secret. Gérismond, pour chasser sa mélancolie, demanda à Ganimède par quelle raison il ne répondait pas à l’amour de Phébé, voyant qu’elle était aussi belle que la coquette qui causa la ruine de Troie.

— Si je cédais la belle Phébé, répondit doucement Rosalinde, je ferais au pauvre Montanus l’injure grande de lui ravir en un moment ce que, pendant bien des mois, il s’est efforcé de conquérir. Pourtant j’ai promis à la belle bergère de n’épouser jamais d’autre femme qu’elle, mais à condition que, si je pouvais par la raison éteindre son amour pour moi, elle s’engageât à ne pas agréer un autre que Montanus.

— Et je m’en tiens à cette convention, dit Phébé, car mon amour a tellement dépassé les bornes de la raison qu’il est inaccessible à la voix de la raison.

— J’en appelle au jugement de Gérismond, dit Ganimède.

— Et je m’en réfère à son arrêt, dit Phébé.

— Les hasards de ma destinée, dit Montanus, sont suspendus à l’issue de cette lutte : si Ganimède triomphe, Montanus assiste au couronnement idéal de ses amours ; si Phébé gagne, je suis en réalité le plus misérable des amants.

— Nous assisterons à ces débats, dit Gérismond, et en suite nous irons à l’église. Ainsi, Ganimède, faites-nous connaître vos arguments.

— Permettez-moi de m’absenter un peu, dit Ganimède, et je vous en présenterai un que je tiens en réserve.

Ganimède se retira et revêtit ses habillements de femme ; sa robe couverte de guirlandes et sa jupe du plus riche taffetas lui allaient si bien qu’elle ressemblait à Diane triomphante. Sur sa tête elle portait une couronne de roses, avec tant de grâce qu’on eût dit Flore épanouie