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APPENDICE.

je m’élancerai au milieu de vous, l’épée à la main, aimant mieux mourir vaillamment que périr dans une si lâche extrémité !

Gérismond, qui le regardait en face attentivement, voyant un gentilhomme si accompli dans une si amère exaltation, fut ému d’une pitié si grande qu’il se leva de table, lui prit la main et lui souhaita la bienvenue, le priant de s’asseoir à sa place, et non-seulement de manger à sa fantaisie, mais de faire, en son nom, les honneurs du festin.

— Grand merci, messire, fii Rosader, mais j’ai tout près d’ici un ami défaillant d’inanition ; c’est un vieillard, et conséquemment il est moins capable que moi de supporter les angoisses de la faim. Il y aurait pour moi déshonneur à toucher une miette de pain, avant de l’avoir associé à mon bonheur : je cours donc le chercher, et alors j’accepterai votre offre avec gratitude.

Vite Rosader alla annoncer la nouvelle à Adam. Celui-ci fut ravi de ce fortuné hasard, mais il était trop faible pour pouvoir marcher ; sur quoi Rosader le prit sur son dos et l’amena au lieu de réunion. Dès que Gérismond et ses gens les aperçurent, ils applaudirent fort cette ligue de dévouement. Rosader, à qui était réservée la place de Gérismond, ne voulut pas s’y asseoir, mais y mit Adam Spencer. Aussitôt que le banquet fut terminé, Gérismond pria Rosader de raconter les circonstances de son voyage. Rosader lui narra de point en point toute son histoire. Quand il eut fini, Gérismond lui sauta au cou et lui dit qu’il était le roi légitime, exilé par Thorismond ; quelle familiarité avait existé de tout temps entre son père, sire Jehan de Bordeaux, et lui ; avec quelle loyauté avait vécu, avec quelle dignité était mort ce fidèle sujet ! En souvenir de lui, Gérismond promit à Rosader et à son ami toutes les distinctions que sa condition présente lui permettait