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APPENDICE.

enfilèrent un sentier qui les mena au plus épais de la forêt : de telle sorte qu’ils errèrent cinq ou six jours sans manger, n’ayant pas rencontré une cabane où trouver du secours. La faim devenant extrême, Adam Spencer, qui était vieux, se sentit défaillir et, s’asseyant sur un talus, aperçut Rosader étendu à terre, accablé lui-même par la faiblesse et l’anxiété. À cette vue il versa des larmes et s’écria : — Ah ! Rosader, si je pouvais t’assister, ma douleur serait moindre ; et bienheureuse serait ma mort, si elle pouvait être un soulagement pour toi. Mais à nous voir périr tous deux dans une même détresse, ma souffrance est double. Que puis-je donc faire ? M’épargner le spectacle de tes angoisses en terminant immédiatement ma vie ! Ah ! le désespoir est un péché damnable !

Comme il allait céder à l’excès de son émotion, il regarda Rosader ; le voyant changer de couleur, il se leva et alla à lui, puis, lui prenant les tempes : — Du courage, maître, dit-il ; si tout nous fait défaut, que le cœur du moins ne nous manque pas. La valeur d’un homme se montre dans sa fermeté à mourir.

— Ah ! Adam ! répondit Rosader en levant les yeux, je ne regrette pas de mourir, mais je suis affligé de la manière dont je meurs. Si j’avais pu rencontrer l’ennemi, la lance au poing, et périr sur le champ de bataille, c’eût été pour moi un honneur et une joie. Si j’avais pu combattre une bête féroce et être sa proie, je serais satisfait ; mais mourir de faim, ô Adam ! c’est de toutes les extrémités la plus extrême.

— Maître, reprit le serviteur, vous voyez que nous sommes tous deux dans la même situation, et je ne puis vivre longtemps sans manger. Eh bien, puisque nous ne pouvons trouver de nourriture, que la mort de l’un sauve la vie de l’autre. Je suis vieux et accablé par l’âge, vous