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APPENDICE.

bergère et Ganimède en jeune pâtre : chaque jour elle conduisait ses troupeaux avec un tel plaisir qu’elle bénissait son exil. Laissons-la s’illustrer parmi les bergers des Ardennes et revenons à Saladin.

Après avoir longtemps dissimulé ses projets de vengeance, Saladin appela un matin plusieurs de ses gens, entra avec eux dans la chambre de son frère, le surprit dormant encore, le chargea de fers et l’enchaîna à un poteau au milieu de sa grand’salle. Étonné de cet étrange traitement, Rosader en demanda la raison à son frère. Mais Saladin ne lui répondit que par un regard de dédain et partit, laissant le pauvre garçon dans une profonde perplexité. Rosader resta deux ou trois jours sans manger et, voyant que son frère ne voulait pas lui donner de nourriture, commença à désespérer de sa vie. Adam Spencer, le vieux serviteur de sire Jean de Bordeaux, sentit un remords de conscience à laisser son fils dans une pareille détresse ; et, bien que Saladin eût défendu à tous ses serviteurs, sous peine de mort, d’apporter à boire ou à manger à Rosader, il se leva une nuit secrètement, lui apporta tous les aliments qu’il put trouver et le mit en liberté. Quand Rosader se fut rassasié, sa première pensée fut de se venger immédiatement, mais Adam l’en dissuada : — Monsieur, dit-il, ayez patience, et reprenez vos fers pour cette nuit encore. Demain votre frère a invité ses parents et alliés à un déjeuner solennel, rien que pour vous voir ; il leur dira que vous êtes fou et qu’il a fallu vous lier à un poteau. Aussitôt qu’ils arriveront, plaignez-vous à eux de cet outrage. S’ils vous font justice, c’est bon. Mais, s’ils n’écoutent pas vos plaintes, alors voici : j’aurai laissé vos fers détachés et mis au bout de la salle une paire de haches d’armes, une pour vous et une autre pour moi. Quand je vous ferai signe, secouez vos chaînes, tombons