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ROSALINDE.

l’autre dans un retrait fort agréablement situé. Aliéna s’avança suivie de Ganimède. À leur aspect, les bergers se levèrent et Aliéna les salua ainsi : « Bon jour à vous, bergers ! Bonne chance à vous, amants ! Je suis une dame en détresse. Égarés seuls dans une forêt inconnue, moi et mon page, nous sommes épuisés de fatigue, et nous voudrions trouver un lieu de repos. Si vous pouviez nous désigner un calme asile, quelque humble qu’il fût, je vous en serais reconnaissante.

— Belle dame, dit le vieux pâtre, recevez un accueil aussi cordial qu’a été courtois votre salut. Je suis le berger Coridon[1], et celui-ci, Montanus[2], est un soupirant aussi jaloux de plaire à sa belle que de paître ses brebis, plein d’amour, et par conséquent plein de folie. Je puis bien le conseiller, mais je ne puis le convaincre : car l’amour n’admet ni avis ni raison. Mais laissons-le à sa passion. Si vous êtes dans la détresse, je suis fâché de voir une aussi belle créature contrariée par l’adversité ; je puis prier pour vous, mais vous secourir, je ne le puis. Pourtant, si vous avez besoin de gîte, et que vous daigniez vous abriter dans une cabane de berger, mon logis, pour cette nuit, sera votre asile.

Aliéna remercia vivement Coridon.

— Si je ne vous offense pas, belle damoiselle, reprit le pâtre, j’implorerai de vous une faveur : c’est de me faire connaître la cause de vos infortunes, et pourquoi, et dans quel but vous errez ainsi avec votre page en une forêt si dangereuse.

— Raconter mes aventures, répondit Aliéna, serait renouveler mes douleurs. Qu’il vous suffise de savoir ceci, gentil berger : ma détresse est aussi grande que mon voyage est périlleux. J’erre dans cette forêt pour y

  1. Corin, dans Comme il vous plaira.
  2. Silvius.