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ROSALINDE.

ne se trouvant pas fait pour recevoir si brillante compagnie. Mais il eut beau atténuer les torts de son frère, il ne put, par aucun moyen, obtenir accès dans la maison : sur quoi, d’un coup de pied, il enfonça la porte, et, l’épée nue, entra hardiment dans l’antichambre, où il ne trouva (car tous avaient fui) qu’un certain Adam Spencer, un Anglais qui avait été le vieux et fidèle serviteur de sire Jehan de Bordeaux. Cet Adam, pour l’amour qu’il portait à son feu maître, avait pris parti pour Rosader et le reçut aussi bien qu’il put, lui et les siens. Avec son aide, Rosader mit le couvert et garnit les tables de tout ce qu’il put trouver dans la maison. Quand ils eurent festoyé, tous les convives prirent congé de Rosader. Aussitôt après leur départ, celui-ci, exaspéré de l’outrage qu’il avait reçu, tira son épée et jura de se venger du discourtois Saladin. Mais Adam Spencer parvint à réconcilier les deux frères encore une fois, et ils vécurent assez longtemps dans un amical accord qui réjouissait leurs serviteurs et charmait leurs voisins. Laissons-les à cette heureuse union et revenons à Rosalinde.

Quand Rosalinde, revenue de la fête, fut restée seule, l’amour présenta à sa pensée les perfections de Rosader, et, la surprenant sans défense, la frappa si profondément qu’elle se sentit atteinte d’une excessive passion. Tandis qu’elle se rappelait les charmes personnels de son bien-aimé, l’honneur de ses ancêtres et les vertus qui le rendaient si gracieux aux yeux de tous, arriva Thorismond accompagné de sa fille Alinda et d’un grand nombre de pairs de France. Ce Thorismond, craignant que la perfection de Rosalinde ne lui portât préjudice, avait résolu de la bannir. Le visage plein de colère, il lui signifia un arrêt qui la condamnait à quitter la cour dès la nuit suivante : « Car, lui dit-il, j’ai ouï parler de tes discours ambitieux et de tes projets de trahison. » Sur-