Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 8.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
425
APPENDICE.

assez de force pour te donner à connaître de combien tu m’es redevable.

Et ce disant, s’en alla d’auprès de moi avec si grande abondance de larmes que les miennes ne furent suffisantes de la pouvoir retenir, parce qu’avec très-grande vitesse elle se retira en une chambrette, et serra la porte après soi de telle sorte que ni l’appeler ni la supplier, avec mes amoureuses paroles, qu’il lui plût m’ouvrir et prendre de moi telle satisfaction qu’il lui plairait, ni lui dire plusieurs autres choses, où je lui remontrais le peu de raison qu’elle avait eu de se fâcher, ne put servir de rien pour la persuader qu’elle me voulût ouvrir la porte. Mais seulement me dit de là-dedans, avec une étrange furie :

— Ingrat et discourtois Valério, ne me cherche plus et ne parle plus à moi, car il n’y a aucune satisfaction à si grande discourtoisie et désamour ; et ne veux autre remède au mal que tu m’as fait, que la seule mort, laquelle je me donnerai avec mes propres mains en satisfaction de celle que tu as bien méritée de moi.

Et moi, voyant ceci, je m’en vins au logis de dom Félix avec plus grande tristesse que je ne pus pour lors dissimuler. Et je lui dis que je n’avais pu parler à Célia, pour certaine visitation à quoi elle était empêchée. Mais le lendemain au matin nous sûmes et fut encore su de toute la cité que cette nuit lui avait pris un évanouissement, avec lequel elle avait rendu l’esprit, qui ne donna pas peu d’étonnement à toute la cour. Aussitôt que dom Félix fut averti de sa mort, il partit et s’évanouit la même nuit de la maison, sans qu’aucun de ses serviteurs ni autre sût qu’il était devenu. Vous pouvez penser là-dessus, gracieuses nymphes, ce que je devais endurer : que plût à Dieu que jà je fusse morte, et qu’une si grande malencontre ne me fût point survenue ! car la