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LA DIANE DE MONTEMAYOR.

nous-en dîner. Car incontinent après je veux que tu portes une mienne lettre à madame Célia, et, la voyant, tu connaîtras si elle mérite que, pour penser à elle, on oublie tout autre pensement.

Après que nous eûmes dîné, doni Félix m’appela, et me faisant grand cas de l’obligation que je lui avais pour m’avoir fait part de son mal et mis le remède entre mes mains, me pria que je lui portasse une lettre qu’il avait écrite. Et prenant la lettre et m’informant de ce qu’il y avait à faire, m’en allai à la maison de Célia, rêvant au triste état auquel mes amours m’avaient réduite, puisqu’il fallait que moi-même me fisse la guerre, étant contrainte d’intercéder pour chose qui était si contraire à mon contentement. Et arrivant au logis de Célia, et trouvant un sien page à la porte, je lui demandai si je pourrais parler à sa maîtresse. Et le page m’ayant demandé qui j’étais, le dit à Célia, lui louant grandement ma beauté et disposition, et lui disant que dom Félix m’avait nouvellement pris en sa maison. Célia lui dit :

— Puisque dom Félix découvre ainsi tôt ses cogitations à un homme nouveau, il faut qu’il y ait quelque raison pour ce faire. Dis-lui qu’il entre et que nous sachions ce qu’il demande.

J’entrai incontinent au lieu où était la principale ennemie de mon bien, et avec la révérence due je lui baisai les mains et lui mis en icelles la lettre de dom Félix. Célia la prit et jeta les yeux sur moi, de façon que je sentis l’altération que ma vue lui avait causée, parce qu’elle demeura si hors de soi qu’elle ne me répondit pour lors un seul mot. Mais un peu après se retournant vers moi, me dit :

— Quelle aventure t’a amené en cette cour ? Qui a fait dom Félix si heureux que de t’avoir pour serviteur ?

— Madame, lui répondis-je, il ne peut être que l’aven-