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NOTES.

gent à la condition requise, fit le billet et partit pour un voyage.

Dans ce voyage il fit de grands bénéfices, et chaque jour il se disait à lui-même : « À Dieu ne plaise que je laisse passer le jour de l’échéance et que le juif attire malheur sur moi ! » En conséquence il confia cent dinars d’or aux mains d’une personne de confiance et l’envoya dans son pays pour les remettre au juif. Mais les gens de sa maison étant sans argent les dépensèrent pour se maintenir.

Quand le musulman revint de son voyage, le juif réclama le payement de son argent ou sa livre de chair. Le musulman dit : « Je t’ai envoyé ton argent, il y a longtemps. » Le juif dit : « Ton argent ne m’est pas parvenu. » Quand ce fait fut, après examen reconnu pour vrai, le juif mena le musulman devant le cadi et exposa toute l’affaire.

« Le cadi dit au musulman : « Ou rembourse le juif ou donne-lui la livre de chair. » Le musulman, ne consentant pas à cela, dit : « Allons à un autre cadi. » Ils allèrent trouver un autre cadi qui prononça la même sentence. Le musulman consulta un ingénieux ami qui lui dit : « Présente-toi devant le cadi d’Emèse, et ton affaire s’arrangera à ta satisfaction. » Alors le musulman alla trouver le juif et lui dit : « Je m’en remets au jugement du cadi d’Emèse. » Le juif dit : « Et moi aussi. »

« Ils partirent alors pour la ville d’Emèse. Quand ils furent devant le tribunal, le juif dit : « Ô monseigneur le juge, cet homme m’a emprunté cent dinars, sous la garantie d’une livre de sa propre chair : ordonne qu’il me livre mon argent ou sa chair. » Il se trouva que le cadi était l’ami du père du musulman, et pour cette raison il dit au juif : « Tu dis vrai, c’est là la teneur du billet. » et il ordonna qu’on apportât un couteau bien affilé. Le musulman, en entendant cela, resta muet. Le couteau apporté, le cadi se tourna vers le juif et dit : « Lève-toi et coupe sur son corps une livre de chair ; mais de telle sorte qu’il n’y en ait pas un grain en plus ou en moins : si tu en coupes plus ou moins qu’une livre, j’ordonnerai que tu sois mis à mort. » Le juif dit : « Je ne puis : j’abandonne l’affaire, et je pars. » Le cadi dit : « Tu ne le peux pas. » Il dit : « Ô juge, je le tiens quitte. » Le juge dit : « Cela ne se peut. Ou coupe-lui une livre de chair ou paye-lui les frais de son voyage. » Les dépenses du voyage furent fixées à deux cents dinars. Le juif paya les deux cents dinars et partit. »

Shakespeare, qui a suivi assez fidèlement la fable indiquée par l’auteur du Pecorone, a été obligé néanmoins de modifier la condition