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INTRODUCTION.

à la peste, à la famine, demandez-le aux tempêtes de l’Océan, demandez-le aux lions de l’Atlas, demandez-le aux hommes du Portugal.

Décimés à Lisbonne par le massacre, chassés de France par l’édit de Charles VI, d’Angleterre par le statut d’Édouard Ier, d’Allemagne par le rescrit de Maximilien Ier, les circoncis se traînèrent jusqu’au nord de l’Europe, au fond de la Bohême, du Mecklembourg et de la Pologne. Çà et là pourtant quelques villes libres et souveraines les admirent : Metz, Nuremberg, Florence, Venise. La Rome des papes tira pour les laisser entrer l’énorme verrou du Guetto. Mais, même dans ces cités tolérantes, les israélites restèrent voués à l’infamie : ils durent porter la dégradante livrée ordonnée par le concile de Bâle, la rouelle à l’épaule ou sur la poitrine, et ce bonnet jaune qui les désignait partout aux huées des enfants et aux aboiements des chiens. — Un instant les malheureux eurent une lueur d’espoir : ils crurent que la Réforme les relèverait de l’anathème dont les accablait le catholicisme. Ils demandèrent à entrer dans les États germaniques révoltés contre le saint-siége. Luther s’y opposa. L’excommunié excommuniait les maudits. Ils implorèrent de la reine Élisabeth leur rappel en Angleterre. Élisabeth refusa et n’en fut que plus populaire. Loin d’apaiser les préjugés contre les juifs, le protestantisme les fanatisa ; il crut prouver son orthodoxie en exagérant l’horreur pour les prétendus meurtriers du Christ. Sa crédulité fervente donnait force aux vieilles fables qui les accusaient d’empoisonner les rivières et les fontaines, de communiquer la lèpre, d’immoler à leur Pâque des enfants volés aux chrétiens. Les poëtes répétaient en vers la calomnie que les prédicateurs ressassaient en prose. Les tréteaux de la scène faisaient écho aux tréteaux de l’église. Dès 1590, un des fondateurs du