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LE MARCHAND DE VENISE.

lorenzo.

— Vive la raison ! quelle suite dans ses paroles ! — L’imbécile a campé dans sa mémoire — une armée de bons mots ; et je connais — bien des imbéciles, plus haut placés que lui, — qui en sont comme lui tout cuirassés et qui pour un mot drôle — rompent en visière au sens commun. Comment va ta bonne humeur, Jessica ? — Et maintenant, chère bien-aimée, dis ton opinion : — comment trouves-tu la femme du seigneur Bassanio ?

jessica.

— Au-dessus de toute expression. Il est bien nécessaire — que le seigneur Bassanio vive d’une vie exemplaire, — car, ayant dans sa femme une telle félicité, — il trouvera sur cette terre les joies du ciel ; — et, s’il ne les apprécie pas sur terre, il est — bien juste qu’il n’aille pas les recueillir au ciel. — Ah ! si deux dieux, faisant quelque céleste gageure, — mettaient pour enjeu deux femmes de la terre, — et que Portia fût l’une d’elles, il faudrait nécessairement — ajouter quelque chose à l’autre, car ce pauvre monde grossier — n’a pas son égale.

lorenzo.

Tu as en moi, — comme mari, ce qu’elle est comme femme.

jessica.

— Oui-dà ! demandez-moi donc aussi mon opinion là-dessus.

lorenzo.

— Je le ferai tout à l’heure ; d’abord allons dîner.

jessica.

— Nenni, laissez-moi vous louer, tandis que je suis en appétit.

lorenzo.

— Non, je t’en prie, réservons cela pour propos de