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INTRODUCTION.

gneur à laquelle elle répond favorablement, après avoir simulé la plus vive colère contre « cette traîtresse de Rosette » qui a laissé choir devant elle l’affreux billet doux. Ainsi que Julia, Félismène s’énamoure du galant et se déguise en page pour le rejoindre en pays étranger. Ainsi que Julia, Félismène, à peine arrivée dans la ville où loge son fiancé, le surprend roucoulant une sérénade sous le balcon d’une beauté nouvelle. Ainsi que Julia, Félismène s’engage au service de l’infidèle qui, ne la reconnaissant pas sous sa livrée d’emprunt, lui fait porter ses lettres à sa rivale. Enfin, toujours comme Julia, Félismène pardonne au coupable et l’épouse. Sur tous ces points, la similitude entre le roman et la comédie est vraiment remarquable, mais elle s’arrête là. Dans le roman, Félismène plaide la cause de son perfide amant avec une abnégation qui manque à Julia, et ne réussit, par toute cette éloquence désintéressée, qu’à inspirer à sa rivale une passion fatale. Malgré cette différence profonde entre les deux épisodes, admettons, avec mistress Lenox, que Shakespeare ait emprunté au roman de Montemayor certains incidents secondaires de sa comédie. Il n’en est pas moins vrai que l’élément fondamental de l’intrigue des Deux Gentilshommes de Vérone n’est pas même indiqué par l’écrivain espagnol. La Diane ne nous montre nulle part deux camarades, épris de la même femme, que l’amour divise et que l’amitié finit par réconcilier. Or, là est le sujet véritable de la pièce. Qui donc a révélé ce sujet à Shakespeare ? Qui donc lui a tracé son scénario ? Qui donc a esquissé dans ses linéaments principaux ce dramatique tableau que le poëte a exposé à nos yeux charmés ? S’il était permis de répondre par une hypothèse à cette question restée jusqu’ici sans réplique, je n’hésiterais pas à dire : c’est la vie !