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LES DEUX GENTILSHOMMES DE VÉRONE.

m’habillais d’une robe de madame Julia, — et ce vêtement m’allait aussi bien, de l’avis de tous les hommes, — que s’il avait été fait pour moi. — Je sais ainsi qu’elle est à peu près de ma grandeur. — Ce jour-là, je la faisais pleurer tout de bon, — car je remplissais un rôle lamentable : — madame, c’était Ariane, se lamentant — sur le parjure et la fuite indigne de Thésée. — Je jouais avec des larmes si vraies, — que ma pauvre maîtresse, tout émue, — en pleurait amèrement. Ah ! je veux être morte, — si je ne ressentais pas par la pensée toute sa douleur.

silvia.

— Elle doit t’en être reconnaissante, gentil jouvenceau ! — Hélas, pauvre fille, esseulée, abandonnée ! — Je pleure moi-même en pensant à ce que tu viens de dire. — Tiens, jouvenceau, voici ma bourse ; je te la donne, — pour l’amour de ta chère maîtresse, puisque tu lui es si dévoué. — Au revoir.

Silvia sort avec ses femmes.
julia.

— Et elle vous en remerciera, si jamais vous la connaissez. — Noble femme, vertueuse, douce et belle ! — J’espère que mon maître ne sera qu’un amoureux transi, — puisqu’elle s’intéresse tant à l’amour de ma maîtresse. — Hélas ! que l’amour a d’enfantillage ! — Voici son portrait. Voyons. Je crois — qu’avec cette coiffure-là, mon visage — serait tout aussi charmant que le sien : — et pourtant le peintre l’a un peu flattée, — si je ne me flatte moi-même d’une illusion. — Ses cheveux sont d’un châtain foncé, les miens d’un blond parfait. Si c’est à cette seule différence que tient l’amour de Protée, — je me procurerai une perruque de cette couleur-là. — Ses yeux sont glauques comme le verre, et les miens aussi. — Oui, mais son front est aussi bas que le mien est haut ! —