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SONNETS.

XXVIII

Ainsi, je viens de l’avouer, mon ami t’appartient, et je me suis moi-même hypothéqué à ton caprice. Je m’abandonne à toi tout entier, si tu veux me restituer mon autre moi-même pour ma perpétuelle consolation.

Mais tu ne veux pas, toi, le laisser libre, et il ne veut pas l’être, car tu es cupide, et il est généreux. Il n’a voulu que me prêter sa garantie en souscrivant l’engagement qui le lie ainsi envers toi.

Tu veux toucher le billet passé à l’ordre de ta beauté, ô usurière qui places tout à intérêt, et tu poursuis mon ami qui ne s’est endetté que pour moi : ainsi je le perds par ma cruelle indiscrétion.

C’est moi qui l’ai perdu : nous t’appartenons tous deux : et il a beau tout payer, je n’en suis pas plus libre.

XXIX

J’ai deux amours : l’un, ma consolation ; l’autre, mon désespoir, qui comme deux esprits ne cessent de me tenter. Mon bon ange est un homme vraiment beau, et mon mauvais est une femme fardée.

Pour m’attirer vite en enfer, mon démon femelle entraîne loin de moi mon bon ange, et tâche de séduire mon saint pour en faire un diable, poursuivant sa pureté de sa ténébreuse ardeur.