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INTRODUCTION.

ce grand cri : Humanité ! et la moitié de l’Europe se ruait sur l’autre au nom d’un Dieu d’amour ; et les catholiques faisaient la Saint-Barthélemy, et les protestants brûlaient Michel Servet, et décapitaient Marie Stuart ! Tu faisais ta propagande sublime, et le peuple pour qui tu la faisais courait aux combats de coqs ; et les plus avancés te reniaient ; et les puritains voulaient fermer ton théâtre, ta chaire, à toi. Alors tu te voilais la face, et tu te sentais désespéré, et tu prenais la vie en dégoût, et tu voulais mourir !

Ah ! c’est qu’on n’apercevait pas alors comme aujourd’hui les solutions imminentes. Perdu dans la nuit profonde du moyen âge, tu ne voyais pas poindre encore l’aube sainte du progrès. Les idées dont tu étais épris, les idées de justice, de liberté, de fraternité, ne t’apparaissaient que comme des utopies insaisissables. Tu ne les voyais pas, comme nous, transformées par quatre révolutions en réalités nécessaires. Et voilà pourquoi cet amour de l’humanité, qui fait notre ardeur, faisait ton accablement. Voilà pourquoi tu n’avais pas, comme nous, cette force que donne l’espérance, cette sérénité que donne la foi.


Guernesey, Hauteville-House, novembre 1856.