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SONNETS ET POÈMES.

poésie venait en aide à la beauté pour entraîner le comte à la rébellion ; Shakespeare plaidait pour le mariage presque aussi éloquemment que mistress Varnon. Dans ses sonnets, dans son poëme allégorique de Vénus et Adonis, dans sa comédie de Peines d’amour perdues, Shakespeare, montrant à Southampton les charmes de la femme, lui disait : « Marie-toi ! » Mais la reine, lui montrant la Tour de Londres, lui disait : « Ne te marie pas. » Or, c’était une chose grave que de désobéir à la reine-vierge. Walter Scott a admirablement peint, dans Kenilworth, la terreur du favori Leicester qui, pour dissimuler jusqu’au bout son union secrète avec Amy Robsart, finit, le misérable ! par la faire tuer dans un guet-apens. C’est sous l’empire de cette même terreur qu’était placé Southampton. Dans une situation aussi critique, le malheureux courtisan résista pendant quatre années aux tentations de l’amour. Mais Shakespeare était là qui lui disait, comme Biron dans la comédie :

Les femmes lancent les étincelles du vrai feu promèthéen, elles sont tous les livres, tous les arts, toutes les académies : elles enseignent, elles élèvent, elles font vivre le monde entier. Sans elles il n’y a personne qui devienne parfait. Fou que vous êtes de renoncer aux femmes !

Ah ! comment résister indéfiniment aux vers éloquents de Shakespeare ? Comment résister toujours aux yeux doux de la belle Varnon ? C’en était trop pour l’infortuné célibataire. Comme dans Peines d’amour perdues, la nature finit par l’emporter ; et Southampton finit, comme Longueville, par épouser sa bien-aimée. Toutefois le denoûment fut beaucoup plus grave dans l’histoire que dans la comédie. Le roi de Navarre, coupable lui-même du crime d’aimer, finit par pardonner à Longueville. Mais la reine d’Angleterre fut impitoyable ; elle envoya Southampton contempler à la Tour de Londres la lune de miel ; et peu s’en fallut, sous prétexte d’un complot