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SONNETS ET POÈMES.

sonne. » On retrouve quelque chose de cette fidélité aux vieilles traditions dans cette haine des modes nouvelles dont Shakespeare félicite son ami dans plusieurs de ses sonnets. Le jeune Henry de Southampton, élevé rigidement par sa mère au collége Saint-John, maître ès arts à l’âge de seize ans, avait gardé de ses fortes études un goût passionné pour les lettres. Il était bien, en effet, ce Mécène des poëtes que Shakespeare chante dans ses sonnets. Nashe, le pamphlétaire, lui disait dans la dédicace de ses livres[1] : « Incompréhensible est la hauteur de votre esprit… Il est perdu sans retour le livre qui naufrage sur le rocher de votre jugement. » Le poëte Markham, en lui dédiant une tragédie, l’appelait, dans un sonnet, « la lampe brillante de vertu à la clarté de laquelle les hommes mélodieux puisent leur inspiration. » Cambden écrivait de lui qu’il était aussi célèbre par son amour de la littérature que par ses exploits militaires. Sir John Beaumont vantait en vers « cet amour de la science que Southampton exprimait dans sa conversation et par ses égards pour ceux qui avaient un nom dans les arts, en vers et en prose. » Le vieux Florio, dédiant au comte son Monde des mots, lui disait en 1598 : « Vraiment je me reconnais débiteur non-seulement de toute ma science, mais de tout ce que je suis, et de plus encore, envers votre généreuse seigneurie à la paye et sous la protection de laquelle j’ai vécu plusieurs années. Sur moi et sur beaucoup d’autres, le glorieux et gracieux rayon de votre honneur a répandu la vie avec la lumière. » Voilà bien ce noble Mécène « sous le patronage duquel toutes les plumes répandaient la poésie. » Ne reconnaît-on pas Henry de Southampton dans ce M. W. H. qui, au dire du poëte des sonnets, ajoutait des plumes à l’aile de la science[2] ?

  1. The life of Jack Wilton, 1594.
  2. Sonnet cxix.