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SONNETS ET POÈMES.

ou quatorze ans. Est-ce donc un enfant de treize ou quatorze ans qui aurait pu enlever au poëte sa maîtresse ? Est-ce un enfant de quatorze ans que Shakespeare aurait adjuré si vivement de se marier ? Est-ce un enfant de quatorze ans enfin qui aurait pu être le Mécène de toute une littérature[1] ?

D’après la quatrième conjecture, émise pour la première fois par le commentateur Drake, les lettres W. H. seraient les initiales transposées de Henry Wriothesly, comte de Southampton. À notre avis, toutes les présomptions sont en faveur de cette conjecture. On sait déjà, en effet, que c’est au comte de Southampton que Shakespeare a dédié ses deux poëmes, Vénus et Adonis et Le Viol de Lucrèce. Le commentateur Drake a déjà appelé l’attention sur l’analogie qui existe entre la dédicace de Lucrèce commençant par ces mots : « L’amour que j’ai voué a votre seigneurie est sans fin ; » et le xxxvie siècle sonnet commençant par ces mots : « Lord de mon amour ! » Nous signalerons deux autres analogies aussi frappantes. Dans la dédicace des sonnets, l’éditeur T. T. parle à M. W. H. du bonheur et de l’éternité que lui promit le poëte. Or, dans cette même dédicace de Lucrèce, Shakespeare souhaite à Southampton une longue vie, prolongée à jamais par le bonheur. C’est le même vœu exprimé presque dans les mêmes mots. Nous avons noté, en outre, plusieurs passages des sonnets qu’on trouve

  1. Un remarquable article, inséré tout récemment dans la Revue Trimestrielle de Londres (Quaterly Review, avril 1864), confirme notre raisonnement par une preuve décisive, en révélant un fait historique qui jusqu’ici avait échappé à l’attention des critiques : William Herbert arriva pour la première fois à Londres dans l’été de 1599, c’est-à-dire quand la célébrité des Sonnets de Shakespeare était déjà parfaitement établie. Le courtisan Rowland Whyte écrivait à son ami sir Robert Sydney en 1598 : « Milord Herbert a, à grand’peine, décidé son père à lui permettre de vivre à Londres, mais ce ne sera pas avant le printemps prochain. Mylord Herbert hath, with much adoe, brought his father to consent that he may live in London, yet not before the next spring. — Note de la seconde Édition.