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LE PÈLERIN PASSIONNÉ.

Tous les chants joyeux sont mis en oubli ; tout l’amour de ma maîtresse est perdu pour moi, Dieu le sait ; à cette tendresse que sa foi avait si fermement fixée, a succédé une insurmontable résistance.

Une stupide boutade a fait toute ma perte. Ô fortune ennemie, maudite capricieuse ! Je le vois maintenant, l’inconstance existe bien plus chez les femmes que chez les hommes.

Je me mets en deuil ; je dédaigne tout scrupule ; mon amour m’a délaissé, et je reste en esclavage ; mon cœur saigne, ayant besoin de secours : ô cruelle assistance ! on ne l’abreuve que de fiel !

Mon chalumeau de pâtre ne rend plus de son ; le grelot de mes moutons fait entendre un glas funèbre ; mon chien à queue courte, qui avait coutume de jouer, ne joue plus et semble inquiet.

Poussant des soupirs profonds, il se met à pleurer, et il hurle d’un air d’intelligence en voyant mon désespoir. Comme ces soupirs résonnent contre la terre sourde ! on dirait comme les gémissements de mille vaincus dans une bataille sanglante !

Les sources limpides ne coulent plus, les doux oiseaux ne chantent plus, les bruyantes cloches ne sonnent plus joyeusement ; les bergers sont éplorés, les troupeaux sont somnolents, et les nymphes glissent à reculons avec effroi.

Adieu tous les plaisirs connus de nous, pauvres pâtres, toutes nos réunions joyeuses dans la plaine, tous nos ébats du soir. C’en est fait de tout notre amour, car l’amour est mort.

Adieu, douce fillette ! Tes pareilles n’ont jamais eu de douces complaisances, et c’est la cause de tous mes tourments. Le pauvre Coridon doit désormais vivre seul ; je ne vois pas pour lui d’autre avenir.