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LE PÈLERIN PASSIONNÉ.

Divine comme tu l’es, oh ! tu es sans pitié pour l’insolent qui chante les louanges du ciel dans une langue si terrestre !

X

La beauté n’est qu’un bien futile et douteux ; c’est un lustre brillant qui se ternit soudain ; une fleur qui meurt, dès qu’elle commence à éclore ; un verre éclatant qui sur-le-champ se brise :

Bien perdu, lustre terni, verre brisé, fleur morte en une heure !

Et, comme un bien perdu est rarement retrouvé, pour ne pas dire jamais, comme aucun frottement ne peut rafraîchir le lustre terni, comme la fleur morte tombe fanée à terre, comme aucun ciment ne peut réparer le verre brisé,

La beauté, une fois flétrie, est à jamais perdue, en dépit des remèdes, du fard, des peines et des dépenses.

XI

« Bonne nuit et bon repos ! » Ah ! souhait stérile ! elle m’a dit : bonne nuit, celle qui trouble mon repos, et elle m’a rejeté dans une chambrette tendue de souci, pour y réfléchir sur les causes de mon accablement.

« Porte-toi bien, a-t-elle ajouté, et reviens demain. » Me bien porter ! je ne le puis, car je soupe en compagnie de la tristesse.

Pourtant elle a souri doucement en me quittant ; était-ce un sourire de dédain ou de sympathie ? je ne saurais le dire. Il se peut qu’elle se réjouît ironiquement de mon exil ; il se peut aussi qu’elle se réjouît de me faire bientôt revenir auprès d’elle.

Revenir ! Un mot bien fait pour un fantôme comme moi qui prend la peine sans savoir en tirer le salaire.