Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/300

Cette page a été validée par deux contributeurs.
300
LES PLAINTES D’UNE AMOUREUSE.

rougeurs enflammées, flots de larmes, pâleurs défaillantes ; il prenait et quittait tous les visages, pouvant, au gré de ses perfidies, rougir à d’impurs propos, pleurer de douleur, ou devenir blanc et s’évanouir avec des mines tragiques.

XLV

» Aucun des cœurs placés à sa portée ne pouvait éviter la grêle de ses traits accablants, tant il donnait à sa beauté l’air doux et inoffensif. C’est sous ce voile qu’il séduisait celles qu’il voulait frapper ; le premier à se récrier contre la chose qu’il cherchait. Au moment où il brûlait de la plus ardente luxure, il prêchait la virginité pure et vantait la froide pudeur.

XLVI

» Ainsi, il couvrait d’un unique vêtement de grâce la nudité du démon caché en lui ; si bien que les novices donnaient accès au tentateur qui planait au-dessus d’elles avec l’air d’un chérubin. Quelle naïve jeune fille ne se serait pas éprise ainsi ? Hélas ! j’ai succombé, et pourtant je me demande si je ne recommencerais pas devant de telles instances.

XLVII

» Oh ! dire que ces larmes empoisonnées, dire que cette flamme menteuse qui brillait ainsi sur sa joue, dire que ces soupirs forcés qui tonnaient dans son cœur, dire que cette haleine funeste sortie de son sein gonflé, dire que toute cette émotion d’emprunt, qui n’avait que l’apparence, séduiraient encore l’infortunée déjà séduite et pervertiraient de nouveau une fille repentie (22) ! »


fin des plaintes d’une amoureuse.