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LES PLAINTES D’UNE AMOUREUSE.

grâce à ce qui l’approchait et le parait. Sa distinction était en lui, non dans son luxe. Tous les ornements, embellis par la place même qu’ils occupaient, étaient autant d’accessoires qui, dans leur savante disposition, n’ajoutaient rien à sa grâce, mais tenaient de lui toute la leur.

XVIII

» De même, au bout de ses lèvres dominatrices, toutes sortes d’arguments et de questions profondes, de promptes répliques et de fortes raisons dormaient et s’éveillaient sans cesse pour son service. Pour faire rire le pleureur et pleurer le rieur, il avait une langue et une éloquence variées, attrapant toutes les passions au piége de son caprice.

XIX

» Aussi régnait-il sur tous les cœurs jeunes et vieux ; tous, hommes et femmes, enchantés, vivaient avec lui par la pensée ou lui formaient un respectueux cortége partout où il apparaissait. Les consentements ensorcelés devançaient ses désirs : tous, se demandant pour lui ce qu’il souhaitait, interrogeaient leur propre volonté, et la faisaient obéir à la sienne.

XX

» Beaucoup s’étaient procuré son portrait, pour se rappeler sa vue et y fixer leur pensée ; semblables à ces fous qui gardent dans leur imagination la perspective magnifique des parcs et des châteaux qu’ils rencontrent en route, et, se les appropriant par la pensée, trouvent dans leur illusion plus de jouissance que le seigneur goutteux qui les possède en réalité.