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LE VIOL DE LUCRÈCE.

dit-elle ; mais sa pauvre langue ne peut dire autre chose que : C’est lui. Pourtant, après bien des cris inarticulés, après de longs délais, après bien des sanglots étouffés, après maints efforts impuissants et convulsifs, elle ajoute : « C’est lui, c’est lui, nobles seigneurs, c’est lui qui pousse ma main à me faire cette blessure ! »

CCXLVII

À ces mots, elle rengaine dans son sein innocent le couteau funeste qui en dégaine son âme. Ce coup a délivré cette âme des anxiétés profondes de la prison souillée où elle respirait ; ses soupirs contrits ont légué aux nuées son esprit ailé ; et à travers ses blessures, une impérissable existence s’échappe d’une destinée brisée.

CCXLVIII

Collatin et tous les seigneurs, ses compagnons, sont restés pétrifiés, confondus de cet acte funèbre, c’est alors que le père de Lucrèce, la voyant en sang, se jette sur le cadavre de la suicidée ; de la source empourprée Brutus retire le couteau meurtrier que le sang chasse violemment, comme par une triste représaille.

CCXLIX

Le sang cramoisi, sortant à gros bouillons de sa poitrine, se divise lentement en deux ruisseaux et encercle de tous côtés son corps, qui apparaît comme une île qu’on vient de ravager et de dépeupler, reste nu de ce débordement terrible ; une partie du sang est restée pure et rouge ; l’autre est noire, ayant été souillée par le perfide Tarquin.