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LE VIOL DE LUCRÈCE.

resterait toujours dans l’histoire, et que jamais on n’oublierait dans cette grande Rome la mort adultère de Lucrèce et de son valet !

CCXXXVI

» Mon ennemi était fort, moi j’étais une pauvre faible créature, affaiblie encore par l’excès de la frayeur. Mon juge sanguinaire m’empêchait de parler ; l’argument le plus éloquent ne pouvait obtenir justice ; sa luxure écarlate intervint comme témoin pour jurer que ma pauvre beauté avait ravi ses yeux ; et, quand le juge est le volé, l’accusé est mort.

CCXXXVII

» Oh ! apprenez-moi à m’excuser moi-même, ou du moins laissez-moi ce refuge : si mon sang grossier est souillé par cet outrage, mon âme est immaculée et sans tache : elle, du moins, n’a pas été violée ; elle n’a jamais consenti à être complice de ma faiblesse ; mais elle reste toujours pure dans sa demeure empoisonnée. »

CCXXXVIII

Voyez ! le malheureux que ruine ce désastre, la tête affaissée, la voix comprimée par le malheur, l’œil triste et fixe, les bras misérablement croisés, tâche d’exhaler de ses lèvres, pâles comme la cire, la douleur qui l’empêche de répondre ; mais en vain l’infortuné fait effort, son souffle reprend ce qu’a exhalé son souffle.

CCXXXIX

Tel, sous une arche, un flot violent, rugissant, échappe au regard qui le regarde courir ; puis rebondit dans le