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LE VIOL DE LUCRÈCE.

poids ; alors la moindre force fait retentir son glas lugubre. Ainsi Lucrèce, mise en mouvement, fait un triste écho à cette mélancolie crayonnée, à ce malheur en effigie. Elle leur prête des paroles, et leur emprunte leur expression.

CCXV

Elle parcourt des yeux le tableau, et plaint tous ceux qu’elle voit dans la détresse. Enfin, elle voit un misérable personnage enchaîné qui jette un regard de compassion aux pâtres phrygiens ; sa figure, quoique pleine d’anxiété, trahit pourtant la satisfaction ; il s’avance vers Troie, entouré de ces rustiques bergers, avec l’air doux de la résignation dédaignant ses malheurs.

CCXVI

Le peintre a mis tout son talent à dissimuler en lui la perfidie et à lui donner la mine de l’innocence : une humble démarche, une physionomie calme, des yeux toujours attendris, un front haut qui semble subir avec sérénité l’infortune, des joues ni rouges ni pâles, mais où les deux nuances sont si bien fondues que la rougeur n’y trahit pas le remords, ni la pâleur l’inquiétude d’un cœur perfide.

CCXVII

Mais, ainsi qu’un démon endurci et consommé, il affectait une telle apparence d’honnêteté, et il en cuirassait si bien sa perversité secrète, qu’il était impossible au soupçon même de se douter que l’astuce rampante et le parjure pussent déchaîner de si noirs orages dans un si beau jour, ou souiller d’une infernale vilenie des formes aussi saintes.