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LE VIOL DE LUCRÈCE.

souillé, pillé, pollué, grossièrement envahi par une audacieuse infamie. Qu’on ne m’accuse donc pas d’impiété, si, dans cette forteresse délabrée, j’ouvre une issue pour faire évader mon âme troublée.

CLXIX

» Pourtant je ne veux pas mourir avant que Collatin ait appris la cause de ma mort prématurée, avant qu’à cette heure pour moi fatale, il ait fait le vœu de châtier celui qui me force à abréger mes jours. Je léguerai mon sang impur à Tarquin ; souillé par lui, c’est pour lui qu’il sera versé ; il sera inscrit comme son dû dans mon testament.

CLXX

» Mon honneur, je le léguerai au couteau qui frappe mon corps ainsi déshonoré. L’honneur veut qu’on mette fin à une vie déshonorée ; l’un vivra l’autre une fois éteinte. Ainsi, des cendres de mon ignominie renaîtra ma gloire, car par ma mort je tue un ignominieux mépris ; mon ignominie ainsi morte, mon honneur est ravivé.

CLXXI

» Cher seigneur du cher bijou que j’ai perdu, que te léguerai-je, à toi ? Ma résolution, mon bien-aimé ! elle fera ton orgueil et te servira d’exemple pour te venger. Apprends par moi comment il faut agir envers Tarquin. L’amie que tu as en moi va tuer l’ennemie que as en moi. En souvenir de moi, traite de même le fourbe Tarquin.

CLXXII

» Je résume ainsi mes volontés dernières : mon âme au ciel ; mon corps à la terre ; ma résolution à toi, mon